Les Belges pourront-ils encore parler le français dans les rues des communes flamandes ? (27/09/2018)

Le scrutin communal a pour dégât collatéral de mortifier le niveau fédéral. Les déchirures se multiplient, l’équipe est à bout de souffle et un député de la majorité, pour la première fois, menace. Exclusif. Par Alain Raviart, chroniqueur politique sur RTL.

La déclaration insensée de la porte-parole de la N-VA lance le retour du communautaire

L’automne vient de frapper à nos portes. Les arbres se dénudent. Ils perdent leur apparat qui tombe en feuille morte. Le parc Royal, à Bruxelles, change de saison. En face, au 16 rue de la Loi aussi, il y a de cela. Les temps changent. Saison électorale. Les orages s’entendent, se voient. Plus personne ne tente de les dissimuler. Pas même le Premier ministre.

Charles Michel demande un devoir et des propositions à Theo Francken sur le dossier des transmigrants. Echec. Deux cents étrangers en situation irrégulière, dont trente-deux avec un passé judiciaire, ont été libérés de leur centre fermé pour laisser des places aux migrants en transit. Une catastrophe (en termes d’image) pour le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration. Les partenaires CD&V et Open VLD soulignent avec fluo et sans retenue ce ratage.

Bart De Wever propose de saisir les portables des sans-papiers. C’est déjà permis. Et alors ? Le président de la N-VA s’en moque comme de sa première chemise à col rond. L’effet est garanti. Les réseaux sociaux se sont si souvent plaints de voir ces « indigents » avec des smartphones. L’enfumage est simple et habile. En attendant, l’épisode démontre que les états-majors ne font plus dans la dentelle. La pérennité du gouvernement n’est pas en jeu. Mais que saura-t-il encore concrétiser ?

    Damien Thiéry à propos
d’Anne-Laure Mouligneaux :
« La N-VA vise les communes
à facilités, dont une où j’ai été
le bourgmestre et où la tutelle
flamande n’a pas voulu me
nommer. Ces gens-là m’ont
toujours considéré comme un
“fransquillon”, alors que je suis
parfaitement bilingue. »
   

Le Plan stratégique d’investissements porté par le Premier ministre est une très belle feuille de route. Il peut remercier le PS d’avoir boudé le vernissage de l’opération. Les rouges sont apparus mauvais joueurs et la majorité d’autant plus constructive. Si le financement pose question, les 150 milliards promis peuvent permettre de créer une dynamique structurelle dans notre pays. Un plan Marshall – version nationale et plus seulement wallonne – pour investir dans des domaines porteurs : mobilité, transition énergétique, numérique et santé. Mais la N-VA se montre dès lors plus sceptique. La fosse est là.

Car les nationalistes sont de retour sur le front communautaire. Leur porte-parole francophone (du parti d’abord, du ministre de l’Intérieur Jan Jambon ensuite) a surpris par une déclaration choc sur les antennes de RTL TVI dans l’émission « C’est pas tous les jours dimanche » : « Quand on est dans l’espace public, on parle le néerlandais. » En clair, Anne-Laure Mouligneaux veut interdire (on se demande bien comment ?) de parler le français dans les rues de la Région flamande.

Au sein de la majorité, cette position fait réagir au MR. Damien Thiéry, député et ancien bourgmestre de Linkebeek : « Je suis profondément choqué. C’est ahurissant… Inacceptable. Il s’agit d’une forme de fascisme. Ce sont des propos d’une autre époque. Je crois que depuis le “Walen buiten”, nous n’avions plus entendu ce type de discours. » Le député reste-t-il à l’aise dans la configuration actuelle avec la N-VA ? Il répond : « Ce que la N-VA vise, c’est l’assimilation, en parlant de culture totalement flamande à inculquer aux individus. Elle vise les communes à facilités, dont une où j’ai été le bourgmestre et où la tutelle flamande n’a pas voulu me nommer. Ces gens-là m’ont toujours considéré comme un “fransquillon”, alors que je suis parfaitement bilingue. C’est incroyable. S’ils veulent concrétiser ces idées et ouvrir le communautaire pour la prochaine législature, je le dis très clairement : ce sera sans moi ! Je suis un homme de dialogue mais là, ça devient très dangereux. »

Le député termine son coup de gueule : « La N-VA a sélectionné des candidats francophones, sinon sa progression sera minimale. Ces candidats apparaissent maintenant comme plus nationalistes que les nationalistes. Ils ont dû recevoir des gages pour être si radicaux. Nul doute qu’Anne-Laure Mouligneaux espère devenir échevine à Grimbergen. Les francophones doivent faire attention, car c’est aussi Bruxelles qui risque d’être paralysée institutionnellement si la N-VA arrive au pouvoir dans la Région. Nous, au contraire, nous ne voulons pas diminuer les droits des Flamands. »

Pour la première fois, un député de la majorité dicte ses revendications et ses conditions pour ne plus gouverner avec le parti de Bart De Wever. Le climat est au refroidissement. Des lignes, à l’encontre de la Constitution et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, sont franchies. En effet et bien sûr, les propositions d’Anne-Laure Mouligneaux sont illégales. Mais qu’importe, tant que la N-VA offre l’ivresse de l’impossible exploit. Elle promet un nouveau round communautaire, elle veut des avancées institutionnelles, elle veut préparer encore un peu plus l’indépendance de la Flandre.

Finalement, ce qui réunit pour l’heure les quatre partis N-VA, CD&V, Open VLD et MR, c’est une certaine forme d’amertume. Fin de parcours, un peu à bout de souffle. Rempileront-ils après mai 2019 ? Les affaires communautaires, comme le démontrent les sorties de la N-VA et du député MR dans ces colonnes, seront un pilier de la négociation. Blocage de centaines de jours en vue ? C’est, hélas, bien possible…

Source :  Alain Raviart - PARISMATCH 2018