Communales 2018 : Linkebeek, l'affrontement francophone (30/09/2018)

Linkebeek, 4760 habitants, l'une des 6 communes à facilités autour de Bruxelles où la langue officielle reste le néerlandais même si 3 habitants sur 4 sont francophones. Linkebeek dont tout le monde en Belgique - bien au-delà de la périphérie - a entendu parler, en raison du "carrousel" dont les tours ont rythmé les deux dernières législatures communales avec un candidat-bourgmestre éternellement "non nommé" par l'autorité de tutelle flamande.

Par le passé, le scrutin communal s'y est souvent caractérisé par un duel Francophones contre Flamands. La cuvée 2018 s'annonce relativement inédite. Avec un affrontement plutôt rude entre francophones, entre bourgmestre et échevins sortants. Avec comme 3e larron, une liste bilingue venant peut-être jouer les arbitres. Pour bien comprendre 2018, petit retour en arrière.

"Bourgmestre non nommé"
En octobre 2006, la Liste Ensemble LKB-Samen, avec pour tête de liste Damien Thiéry FDF, échevin sortant des Travaux publics, lui-même fils du bourgmestre FDF Roger Thiéry (en charge de 1976 à 1989), l'emporte avec 59,8% des voix sur la Liste du Bourgmestre MR Marc De Neef (24%) en poste depuis quelques mois seulement. La liste flamande LK2000 complète le podium avec 16,1%. Au final, Damien Thiéry est proposé comme bourgmestre par une majorité francophone réunissant 13 sièges sur 15 au conseil communal. Sauf que la Flandre n'en veut pas. Suite à l'envoi de convocations électorales en français sur fond de circulaires Peeters. Début d'une vaste bataille de procédures, de recours au Conseil d'Etat : la commune vit au rythme du communautaire, des propositions de nominations, des refus, de réunions locales perturbées par TAK, Vlaams Blok/Belang et autre Voorpost. Avec Damien Thiéry, non nommé mais dirigeant de facto la commune, tout en continuant à jouer le rôle du meilleur défenseur des francophones. Une position qui peut payer politiquement : un poste de député depuis 2010 le prouve.

En octobre 2012, il n'y a plus que deux listes en course. La Liste du Bourgmestre Damien Thiéry face à une liste flamande ProLink. Les francophones l'emportent à 79,1% (13 sièges à nouveau), contre 20,89% aux Flamands (2 sièges). Sauf que l'autorité flamande refuse toujours de nommer Damien Thiéry. Courant 2015, la ministre N-Va des affaires intérieures Liesbeth Homans propose le poste de bourgmestre à Yves Ghéquière (2ème score de popularité sur la Liste LB en 2012, avec 520 voix) qui le refuse. Un peu plus tard dans la saga Linkebeek, en 2017, sa candidature sera proposée par la majorité francophone à la même Liesbeth Homans qui la refusera à son tour, invoquant là aussi un non-respect de la législation linguistique : présidant le conseil communal en l'absence de Damien Thiéry, il aurait laissé des conseillers communaux s'exprimer en français...

Octobre 2015, la Flandre choisit comme bourgmestre Eric De Bruycker de la Liste minoritaire ProLink. Il ne tiendra que six semaines avant de démissionner. Entre-temps, les 13 conseillers communaux francophones avaient claqué la porte, entraînant une élection communale partielle le 13 décembre 2015 qui les voit tous réélus.

Une relative pacification ne revient que, mi-juillet 2017, lorsque Damien Thiéry - passé fin 2013 du FDF/Défi au MR -, débouté de ses recours, passe la main à une autre candidate de sa liste, Valérie Geeurickx, jusque-là 3ème échevine (FDF puis indépendante, 177 voix de préférence sur la Liste du Bourgmestre en 2012 et 8ème score de la liste). Elle devient la première bourgmestre issue de la majorité francophone nommée depuis 2007. Avec trois échevins autour d'elle, dont Damien Thiéry et Yves Ghéquière.

2018 : pas de liste flamande
Pour ces communales du 14 octobre 2018 - on y revient -, première nouveauté : pas de liste purement néerlandophone. Pour la première fois depuis 1982. A la "place" : une liste bilingue avec des candidats flamands notamment issus de l'ancienne liste ProLink qui ne se présente plus. Une liste "Activ/Actief Linkebeek", tirée par un commerçant local bien connu, Mitra de Kempeneer au parcours atypique et novice en politique. 48 ans, entrepreneur, traiteur, d'origine indienne, adopté par un couple bruxellois-flamand et présent dans la commune depuis 11 ans. Un homme ambitieux qui entend défendre un programme par et pour les habitants, loin des querelles communautaires des dernières années.

"Pour moi, Damien Thiéry a bien géré la commune - même si sur certains aspects on peut faire mieux -, mais surtout il a beaucoup perdu son temps avec les tensions communautaires. Je discute énormément avec les habitants qui en ont marre de la situation politique chaotique de la commune que nous connaissons depuis 2006. La priorité pour moi c'est de rassembler un maximum de Linkebeekois derrière nous, d'où cette liste bilingue - il y a six néerlandophones et douze francophones -, pour gérer Linkebeek et porter des projets communs. On a un programme très clair, et comme slogans "changement" car on veut du changement au niveau de la gestion, et "convivialité" car Francophones et Néerlandophones ont envie de faire quelque chose de Linkebeek sans retour permanent du communautaire. Et ce n'est pas en excluant une communauté non plus que l'on va arriver à un résultat". Mitra de Kempeneer qui a rencontré les autres têtes de liste mais aucun n'a voulu s'associer à sa démarche ni même mettre tout simplement des candidats flamands sur ses listes...

Une autre liste francophone en lice
La grande surprise 2018 est venue de l'annonce d'une liste dissidente, concurrente en tout cas de celle qu'entend mener Damien Thiéry, une liste francophone aussi : Link@venir avec pour tête de liste l'échevin Yves Ghéquière, mais aussi la bourgmestre Valérie Geeurickx, l'échevin PS Pasquale Nardone, et en tête sur la liste CPAS un candidat Défi, conseiller provincial et président du CPAS sortant... Philippe Thiéry, le frère de Damien - celui-ci évoque une rancoeur de son frère après qu'il ait rejeté une augmentation du budget du CPAS... Une liste à laquelle se sont ralliés Défi et le PS reprochant à Damien Thiéry de ne plus favoriser le combat francophone depuis qu’il est en alliance fédérale avec la N-VA. Ambiance...

Les créateurs de la liste parlent de "rupture de confiance" dans l'ex-majorité, de volonté d'ouverture, de plus de pluralité et d'une gestion "plus transparente et participative" face à un style de management devenu "très directif" de l'échevin Damien Thiéry. Pour Yves Ghéquière, "il y avait un souci latent depuis une bonne année, amplifié encore ces derniers mois. Manque de débats, de moins en moins de communication, problèmes de comportement envers la bourgmestre dont la fonction était affaiblie, dénigrée parce qu'il estimait qu'il était toujours le chef. J'avais prévenu à plusieurs reprises Damien Thiéry que s'il continuait, on risquait d'aller dans le mur pour l'unité du groupe que nous formions et que cela allait provoquer des dégâts plus importants qu'il ne pouvait le croire. Est-ce qu'il a sous-estimé mes propos ou s'est-il surestimé ? A maintes reprises, nous avons essayé de rabibocher les choses, même si la confiance était véritablement érodée et sans confiance évidemment il devient très difficile de construire ensemble. Ou bien j'arrêtais ou bien nous formions un nouveau groupe. Il y avait un point de non-retour".

Yves Ghéquière qui se défend d'amoindrir le camp francophone et qui maintient qu'il sera tout aussi attentif à la défense des droits des francophones : "ce n'est pas parce que l'on est modéré sur le plan communautaire que l'on ne sera pas attentif aux droits des francophones et au statut des facilités, nous les défendrons aussi bec et ongles si on nous attaque. Mais mon espoir est qu'effectivement le communautaire ne prenne plus le pas, mais cela dépend des deux parties" (ndlr : la Région aussi). "Nos programmes vont tout de même différer sur pas mal de points. Cela va permettre un vrai choix démocratique, toutes les tendances sont représentées, chacun a le droit d'exprimer un vote en fonction de ses aspirations. Et je le ressens : pour la première fois, il y a un engouement, la population s'intéresse vraiment à cette élection. Je trouve ça très positif".

Damien Thiéry contre tous les autres
Damien Thiéry, (1232 voix de préférence en 2012), lui, sans surprise, parle de "trahison" face à cette liste dissidente et évoque un "combat d'idées" à venir avant tout sur "le mode de la gestion de la commune, car on a compris que pour ceux qui ont fait cette liste dissidente, la gestion financière de la commune ce n'est pas leur truc, alors que moi je reste persuadé que, pour pouvoir faire avancer une commune et mettre en place de nouveaux projets, il faut être certain d'avoir les moyens de sa politique et une gestion budgétaire vraiment fondamentale". Avec sa Liste "Ensemble Linkebeek-Samen" - réunissant des conseillers communaux sortants essentiellement MR -, il entend, dit-il, non pas mener campagne "contre" qui que ce soit mais surtout démontrer entre 2012 et 2018 "qui a fait quoi" : "on sera surpris de voir que ceux qui ont créé la liste dissidente n'ont pas forcément fait le boulot comme il le fallait". Et de promettre prochainement dans la campagne un bilan du bourgmestre et des différents échevins.

Et le communautaire ? On verra bien, dit-il, cela ne dépend pas de Linkebeek : "On verra l'attitude de la ministre flamande de l'Intérieur au lendemain des élections. Moi ce que je peux dire c'est que le Conseil d'Etat a été très clair en ce qui me concerne : plus question d'utiliser des griefs précédents pour ne pas nommer Damien Thiéry comme bourgmestre en 2019. Donc je me sens tout à fait à l'aise d'autant plus que le travail est fait de manière à ce que tant les Francophones que les Néerlandophones à Linkebeek puissent se sentir chez eux".

L'ancien bourgmestre non nommé qui rappelle que si le communautaire revient, avec les menaces possibles par exemple sur les facilités - pourquoi pas après le scrutin de 2019 ? -, il jouera à nouveau le défenseur des francophones, précisant : "Jamais on ne supprimera les facilités tant que je serai là".  Damien Thiéry qui se dit sûr "sans aucun doute d'avoir la majorité au lendemain des élections. Est-ce que ce seront 8-9 ou 10 sièges sur 15, ça c'est la population qui en décidera. De là, on verra l'attribution des échevins qui en découlera. Moi j'ai bon espoir d'avoir le collège complet au sein de mon équipe, ce qui facilitera la mise en place de notre programme".

Le précédent de 2006
Deux listes francophones qui se font face, au lieu d'une seule liste unie (UF) comme initialement prévu, cela peut en effet faire penser à 2006, Liste du Bourgmestre contre Liste Ensemble LKB. Et là, pour rappel, au final les deux listes francophones concurrentes d'abord avaient réuni 83,8% des voix, soit un progrès de 7% de plus qu'en 2000, et empoché un siège de plus au détriment des néerlandophones. Ici, les deux listes rivales devront se compter et même si l'une s'impose, il faudra sans doute bien collaborer pour la suite des opérations.

Pour Yves Ghequière, "il y a 9 chances sur 10 que Damien Thiéry et moi on se retrouve autour de la table au Collège. J'ai un espoir : c'est que finalement pour le bien du fonctionnement communal, il n'y ait plus de majorité absolue car le fonctionnement que nous avons connu ces derniers temps et qui a fait que nous en sommes arrivés à cette dissension est dû à cela. Quand vous n'avez pas d'opposition, quand au sein même de la majorité un groupe s'impose, cela ne fonctionne plus. L'idée c'est d'en revenir à une culture du débat. Démocratiquement parlant c'est ce qui manquait aussi ces dernières années". Si aucune  des deux ne se détachent, c'est alors la 3e liste - bilingue - qui pourrait jouer "les faiseurs de roi" - Mitra De Kempeneer dit attendre sereinement ce que l'électeur décidera pour lui et sa liste - et là ce serait de l'inédit total...

Source : Fabien Van Eeckhaut - rtbf.be